À l’heure où le renouveau de Liège est perceptible, où les affiches de LiègeTogether font rire jusque Cannes [1] et où des journalistes américains font la revue de la cité ardente [2], la majorité du conseil communal ne semble pas comprendre les enjeux de la préservation du patrimoine architectural d’après-guerre. En effet, le vingt-neuf mai passé, un avant-projet de « Plan communal d’aménagement » (PCA) [3] a été voté [4] par la majorité. Il concerne la démolition du centre sportif du grand séminaire, ainsi que l’arrachage de la plupart des arbres du parc qui l’entoure.
À la place, le projet attribué au promoteur Thomas & Piron prévoit la construction d’une tour de quarante mètres, de 14.900 m2 de logement et 660 m2 de bureau, et si un espace vert est maintenu, le programme actuel présenté dans l’étude réalisée par la ville (en collaboration avec le bureau Pluris) nous informe que la partie «parc » sera privée et à usage unique du projet immobilier.Le plus fou est que cet avant-projet a été voté malgré la procédure de classement demandée par la Commission Royale des Monuments et Sites de Wallonie le 11 octobre 2016.[5]
Si vous ne connaissez pas le centre sportif de l’évêché, sachez qu’il s’agit d’une pépite méconnue de l’architecture moderniste liègeoise. Le projet débute en 1962 sous l’impulsion du grand séminaire de Liège, qui commande au groupe d’architectes EGAU un projet de centre sportif à destination des séminaristes. Le cahier des charges prévoit une piscine, un hall de sport mais aussi une bibliothèque et quelques locaux administratifs.Le projet, sous la direction de l’architecte Jules Mozin (membre du groupe EGAU dont la maison personelle à été classée le 22/02/2011 [6]), prend forme en tenant compte des souhaits du grand séminaire. Une importance particulière est apportée à la notion de discrétion, le projet implique d’ailleurs un tunnel souterrain reliant le centre sportif au grand séminaire situé juste en face. Les architectes doivent aussi tenir compte de la modestie des moyens et des courts délais qui leur sont alloués.L’ensemble des requêtes a fait naitre un bâtiment emblématique de son époque, où la simplicité prend forme dans la végétation qui l’entoure.
Le travail architectural est pensé dans la globalité, les trois volumes du bâtiment sont introduits par galerie ouverte composée d’une structure métallique supportant une toiture minimaliste. Pour illustrer cette intention de globalité sculpturale, il faut aussi noter le faite que le portique extérieur, l’escalier métallique, le panier de basket et le plongeoir on été dessiné par les architectes. Si vous voulez découvrir plus en profondeur les prouesses architecturales mises en place pour la construction de la piscine de l’évêché, je vous invite à lire la publication de Simon Ancion et Jimmy Thonon «Requiem pour la piscine de l’évêché» [7]
À l’heure actuelle, le bâtiment est désaffecté, la piscine étant fermée depuis 2005 en raison du non-respect de certaines normes imposées par la région wallonne. Elle était jusque là utilisée par plusieurs écoles du centre ville, le hall sportif quand à lui a encore été utilisé quelques années par des clubs et des associations sportives locales. La situation depuis l’arrêt des activités est parfaitement expliquée par Maurizio Cohen dans son article « Destinés à disparaître? » pour le magazine A+ n° 252, de février-mars 2015.
En fait, depuis quelques années, l’Evêché essaie d’attirer la promotion immobilière pour construire des nouveaux bâtiments en lieu du centre sportif, profitant de la position urbaine avantageuse. Plusieurs projets se sont déjà succédés sans arriver au but. La société Solico a demandé une étude de faisabilité en 2008 déjà et une proposition de plan particulier d’aménagement prévoyant la démolition du centre sportif et de son cadre à l’avantage d’une plus grande densification de la parcelle sont restés sans suite. D’autres projets suivent, aucun ne conserve le centre sportif. Un autre témoignage de l’architecture moderne d’après-guerre risque donc de disparaitre faute de moyens, mais aussi de volonté des propriétaires. Pourtant, ce projet a fait l’objet de publications […] et a été inscrit dans une liste de l’inventaire du Patrimoine Immobilier Culturel de Wallonie.Malgré cette reconnaissance, le bâtiment est aujourd’hui sous le coup d’une menace imminente. En plus du manque de discernement des pouvoirs politiques quant à la sauvegarde du patrimoine, le conseiller communal VEGA François Schreuer s’interroge sur la complaisance publique/privé :
Je me suis aussi interrogé sur l’étonnante complaisance cléricale qui semble animer le Collège, puisque tout ceci est cousu de fil blanc, ce PCA ne vise qu’à permettre à l’Evêché de réaliser une très juteuse opération foncière, que le classement pourtant demandé par la Commission royale des monuments et sites du bâtiment et de son parc rendrait impossible. L’avant-projet a été voté par la majorité contre les groupes Ecolo, PTB et VEGA le MR s’abstenant, à l’exception de quatre de ses conseillers qui se sont opposés.
Face à ce projet, l’asbl urbAgora , DOCOMOMO Belgium , SOS Mémoire de Liège et l’asbl Le Vieux Liège ont ouvert une pétition en ligne que je vous invite bien entendu à signer ⇀
Pour la suite, la Ville de Liège à travers le plan communal d’aménagement » [] annonce quelques dates clefs au niveau des différentes procédures :
De mon coté, je réfléchis à d’autres actions possibles pour conscientiser le public liègeois (affiches, site web, expo…)
Alors, faisons le point :Aujourd’hui, les brocantes vintages font le plein, les formes de notre mobilier ont été influencées par ce style d’architecture.On retrouve des appartement Airbnb dans la cité radieuse de Marseille - un emblème de l’architecture d’après-guerre. Les créations architecturales du couple Eames et de Mies van der Rohe, auxquelles le centre sportif de l’Evêché fait écho, sont vues comme des références incontournables.
De plus, en septembre 2017, la Flandre accompagnait sa journée du patrimoine (Open monumenten dag) par une journée de l’architecture (Dag van de Architectuur) [ 11 ] où des bâtiments des années 60 étaient bien entendu mis en avant !Alors que, partout ailleurs, la valeur du patrimoine moderne est reconnue et préservée, je me dis qu’il est de notre devoir de faire prendre conscience de l’importance de ce type de monument et de se battre tant qu’il est encore possible de le faire, pour que cet espace puisse être protégé, ce qui n’interdit aucunement les possibilités d’évolution du site. N’oublions pas que, comme le dit Guy Duplat pour La Libre [ 11 ], tout patrimoine a commencé par être de l’architecture contemporaine.
- Bernouin,Michel «Liège plus glamour que Cannes ? La Croisette contre-attaque !».France 3 Côte d’Azur, Provences-Alpes, 13/08/2017 ⇀
- Marshall, Terri «5 Reasons To Visit Amazing Liege in Belgium ». Travel Tips & news a Roam Right , 17/07/2017 ⇀
- Ville de Liége en collaboration avec bureau Pluris «Plan Communal d’Aménagement n°44/6 dit Prémontrés modifiant le PPA 44». 05/2017 ⇀
- Ville de Liége « Proces-verbal de la séance du conseil communal du 29 mai 2017 ». 29/05/2017 ⇀
- Commission Royale des Monuments et Sites de Wallonie « Dossier de proposition de classement comme Monument et comme Site et correspondance s’y référant » 10/2016 ⇀
- Bauen + Wohnen « Viergeschossiges Einfamilienhaus in Lüttich» n°15 - 1961 (re-édité par e-periodica.ch le19.10.2017) ⇀
- Ancion, Simon et Thonon, Jimmy «Requiem pour la piscine de l’évêché ». Le chainon manquant,25/12/2004 ⇀
- Duplat, Guy «En Flandre, l’architecture contemporaine s’invite au patrimoine ». La libre Belgique , 04/09/2017 ⇀